Images de Sierre à la fin du XIXe siècle
Elie Zwissig
Première édition: 1969
Réedition: 2009
Editeur: Editions à la Carte
Nombre de pages: 64
ISBN: 9782940436224
AVANT-PROPOS
L’homme qui revient rapporte toujours le souvenir dans son bagage. Il sait qu’il retrouvera partout aujourd’hui les élancements des buildings anonymes, dans le concert bruyant des bétonnières et des trépidants compresseurs, sous les hautes grues, dont il ne comprend pas si leurs bras agités veulent rabattre son enthousiasme pour lui indiquer l’éternité du ciel.
La puissance de la société achève et rase en un rien de temps l’effort d’individus qui bâtirent, qui modifièrent, pierre à pierre, jour après jour, le décor du passé.
N’y étant pas né, j’avais quelques années au début de ce siècle quand j’ai rencontré Sierre. Le décor que M. Zwissig en présente ne m’est cependant pas inconnu. On y venait en train depuis une trentaine d’années et, celui-ci poursuivait jusqu’à Brigue.
Je ne fus donc pas dans la cohorte des gamins qui accompagnaient les départs des diligences, mais au sortir de la gare, point de lignes blanches directionnelles, pas d’agent au carrefour avec, surmontant son uniforme élégant et kaki, un casque blanc sommé du soleil d’or sur fond de gueules, pas de barrières pour piétons, mais un petit mur sur lequel j’ai trotté, tenant mon père par la main, pour mieux voir les biches qui folâtraient dans le parc sur lequel fut construite la nouvelle poste.
En suivant la route cantonale vers Brigue, il n’y avait là que ruelles burinées par le temps, ridées par l’inégalité des façades mal rasées, à poils durs, que formaient les poutrelles qui les dépassaient, impasses, retraits et courettes où s’élevaient lapins et cochons sous des fenêtres, il faut bien le dire, beaucoup moins fleuries qu’aujourd’hui.
Nous allions par-devant le Château qui devait, quelques années plus tard, recevoir les grands blessés et malades français et belges revenant d’Allemagne et abriter aussi, entre autres, Rainer-Maria Rilke; mais qui, alors, ne m’en imposait que par ses gracieux arceaux; vers l’église où j’avais hâte de trouver l’ossuaire qui m’impressionnait davantage encore.
Et dans la maison des cousines, devenue la Maison des Jeunes, mon père me présentait la série de tonneaux, dispersés maintenant, qui étaient, me disait-on, l’œuvre d’une dynastie parente de tonneliers de père en fils et dont les farces de l’un d’eux ne sont pas encore totalement oubliées.
On construisait le castel médiéval de Pradeg, mais les yeux grands ouverts et avec l’esprit qu’on lui connaît, M. Elie Zwissig saisissait déjà les premières images qu’il vous offre en ces pages, non sans émailler ses propos historiques de notes humoristiques.
L’ancien Sierre est à lui; il le fait réapparaître par ses croquis. Si l’îlot, comme on dit depuis les exercices d’obscurcissement, l’îlot de Cuchon a fait place au funiculaire, si la chapelle anglaise et les humbles granges ne sont plus, s’il nous a fallu accepter de voir disparaître à jamais notre maison bourgeoisiale, sa fresque héroïque ainsi que le vicariat voisin pour faire place à l’urbanisme de circulation, on peut encore pour peu d’années peut-être, dans quelques maisons du Bourg, retrouver les grandes lignes de celles qui abritèrent la papeterie Tabin et l’horloger Racine.
Combien l’équarrissement de ces immeubles ont révélé le fruste confort dont se sont contentés nos pères et M. Zwissig aurait pu rappeler, pour mieux les faire remarquer dans ses dessins, un procès «clochemerlesque» que provoqua la non-démolition d’une de ces tourettes carrées à petites fenêtres que l’on retrouve sur bien des gravures, construites accolées ou en dehors du bâtiment principal, pour l’isolement des « communs ».
Il y avait quelque charme bien valaisan à retrouver un peu partout dans les venelles et sur les petites placettes, quelques chalets au soubassement de pierres blanchies à la chaux et soutenant, au-dessus de petites fenêtres, le corps du bâtiment aux poutres brunies, de mélèze ou de sapin, sous le toit d’ardoises gris bleu.
La maison Masserey était de celles-là et j’ai souvenance qu’un de mes grands-oncles y tenait un de ces magasins où, à l’époque, on trouvait tout ce que l’on désire sauf ce que l’on cherche. Ces murs craquelés gardaient pour la plupart l’écho des chants et des pas des soldats qui s’en allaient sous les drapeaux des compagnies valaisannes faire, au loin, campagne avec nos valeureux capitaines; leurs fenêtres se sont ouvertes souvent au retour des exilés et leur rusticité connaissait l’accueil chaleureux réservé à l’enfant prodigue.
Celui-ci, un plant de vigne dans son bissac, retrouvait, première halte, la pinte du Diable puis, seconde à l’hôtel du Soleil, ayant déjà de loin salué ses clochers.
Petit, je ne courais guère le grand Sierre. Timidement et rarement, je fus, accompagné, vers le lac de Géronde, et les images de la Métralie, de Borzuat, de Zervettaz et de Villa, bien effacées dans mon passé, se réveillent néanmoins en regardant le recueil, amoureusement traité, que nous offre M. Zwissig.
Bien des Sierrois lui seront reconnaissants de leur avoir rendu leur jeunesse, car il a su mettre en noir et blanc, en des traits précis, ce que leurs cœurs et leurs mémoires gardaient jalousement en leur intimité, sous des formes diffuses et des couleurs que le temps délie et atténue. Nos hôtes de passage comprendront peut-être mieux que Sierre vit et que, se transformant, demeure le Sirrum amoenum du passé. Une nouvelle fois je vais quitter mon pays, mais avec ce livre, je l’emporte en mon bagage.
Alfred-G. Berthod
Consul général de Suisse à Bordeaux
L’homme qui revient rapporte toujours le souvenir dans son bagage. Il sait qu’il retrouvera partout aujourd’hui les élancements des buildings anonymes, dans le concert bruyant des bétonnières et des trépidants compresseurs, sous les hautes grues, dont il ne comprend pas si leurs bras agités veulent rabattre son enthousiasme pour lui indiquer l’éternité du ciel.
La puissance de la société achève et rase en un rien de temps l’effort d’individus qui bâtirent, qui modifièrent, pierre à pierre, jour après jour, le décor du passé.
N’y étant pas né, j’avais quelques années au début de ce siècle quand j’ai rencontré Sierre. Le décor que M. Zwissig en présente ne m’est cependant pas inconnu. On y venait en train depuis une trentaine d’années et, celui-ci poursuivait jusqu’à Brigue.
Je ne fus donc pas dans la cohorte des gamins qui accompagnaient les départs des diligences, mais au sortir de la gare, point de lignes blanches directionnelles, pas d’agent au carrefour avec, surmontant son uniforme élégant et kaki, un casque blanc sommé du soleil d’or sur fond de gueules, pas de barrières pour piétons, mais un petit mur sur lequel j’ai trotté, tenant mon père par la main, pour mieux voir les biches qui folâtraient dans le parc sur lequel fut construite la nouvelle poste.
En suivant la route cantonale vers Brigue, il n’y avait là que ruelles burinées par le temps, ridées par l’inégalité des façades mal rasées, à poils durs, que formaient les poutrelles qui les dépassaient, impasses, retraits et courettes où s’élevaient lapins et cochons sous des fenêtres, il faut bien le dire, beaucoup moins fleuries qu’aujourd’hui.
Nous allions par-devant le Château qui devait, quelques années plus tard, recevoir les grands blessés et malades français et belges revenant d’Allemagne et abriter aussi, entre autres, Rainer-Maria Rilke; mais qui, alors, ne m’en imposait que par ses gracieux arceaux; vers l’église où j’avais hâte de trouver l’ossuaire qui m’impressionnait davantage encore.
Et dans la maison des cousines, devenue la Maison des Jeunes, mon père me présentait la série de tonneaux, dispersés maintenant, qui étaient, me disait-on, l’œuvre d’une dynastie parente de tonneliers de père en fils et dont les farces de l’un d’eux ne sont pas encore totalement oubliées.
On construisait le castel médiéval de Pradeg, mais les yeux grands ouverts et avec l’esprit qu’on lui connaît, M. Elie Zwissig saisissait déjà les premières images qu’il vous offre en ces pages, non sans émailler ses propos historiques de notes humoristiques.
L’ancien Sierre est à lui; il le fait réapparaître par ses croquis. Si l’îlot, comme on dit depuis les exercices d’obscurcissement, l’îlot de Cuchon a fait place au funiculaire, si la chapelle anglaise et les humbles granges ne sont plus, s’il nous a fallu accepter de voir disparaître à jamais notre maison bourgeoisiale, sa fresque héroïque ainsi que le vicariat voisin pour faire place à l’urbanisme de circulation, on peut encore pour peu d’années peut-être, dans quelques maisons du Bourg, retrouver les grandes lignes de celles qui abritèrent la papeterie Tabin et l’horloger Racine.
Combien l’équarrissement de ces immeubles ont révélé le fruste confort dont se sont contentés nos pères et M. Zwissig aurait pu rappeler, pour mieux les faire remarquer dans ses dessins, un procès «clochemerlesque» que provoqua la non-démolition d’une de ces tourettes carrées à petites fenêtres que l’on retrouve sur bien des gravures, construites accolées ou en dehors du bâtiment principal, pour l’isolement des « communs ».
Il y avait quelque charme bien valaisan à retrouver un peu partout dans les venelles et sur les petites placettes, quelques chalets au soubassement de pierres blanchies à la chaux et soutenant, au-dessus de petites fenêtres, le corps du bâtiment aux poutres brunies, de mélèze ou de sapin, sous le toit d’ardoises gris bleu.
La maison Masserey était de celles-là et j’ai souvenance qu’un de mes grands-oncles y tenait un de ces magasins où, à l’époque, on trouvait tout ce que l’on désire sauf ce que l’on cherche. Ces murs craquelés gardaient pour la plupart l’écho des chants et des pas des soldats qui s’en allaient sous les drapeaux des compagnies valaisannes faire, au loin, campagne avec nos valeureux capitaines; leurs fenêtres se sont ouvertes souvent au retour des exilés et leur rusticité connaissait l’accueil chaleureux réservé à l’enfant prodigue.
Celui-ci, un plant de vigne dans son bissac, retrouvait, première halte, la pinte du Diable puis, seconde à l’hôtel du Soleil, ayant déjà de loin salué ses clochers.
Petit, je ne courais guère le grand Sierre. Timidement et rarement, je fus, accompagné, vers le lac de Géronde, et les images de la Métralie, de Borzuat, de Zervettaz et de Villa, bien effacées dans mon passé, se réveillent néanmoins en regardant le recueil, amoureusement traité, que nous offre M. Zwissig.
Bien des Sierrois lui seront reconnaissants de leur avoir rendu leur jeunesse, car il a su mettre en noir et blanc, en des traits précis, ce que leurs cœurs et leurs mémoires gardaient jalousement en leur intimité, sous des formes diffuses et des couleurs que le temps délie et atténue. Nos hôtes de passage comprendront peut-être mieux que Sierre vit et que, se transformant, demeure le Sirrum amoenum du passé. Une nouvelle fois je vais quitter mon pays, mais avec ce livre, je l’emporte en mon bagage.
Alfred-G. Berthod
Consul général de Suisse à Bordeaux