Témoins du Passé

Le tour du lac Léman (1912)

Jules Monod

Première édition: 1912
Réedition: 2008
Editeur: Editions à la Carte
Nombre de pages: 122
ISBN: 978-2-88464-933-9
CHF 29.00
« Nous allons nous embarquer sur un des beaux bateaux de la Compagnie Générale de Navigation et voguer sur les ondes du bleu Léman. Par une de ces journées azurées et lumineuses que l'été prodigue à la vallée du Léman, cette excursion qu'aucun touriste voudrait n'avoir pas faite, est une des plus incomparables qui se puissent imaginer, tant par la splendeur du lac lui-même que par les charmes exquis de ses rives. On ne sait ce que l'on doit le plus admirer : la clarté limpide des flots, la beauté des horizons, la lumière attendrie du ciel reflétée dans le miroir de cristal, ou la magnificence des villes entourées de beaux ombrages et reliées entre elles par un cortège de villas coquettement fleuries. »

Pour faire le tour complet du lac, il faut consulter avec soin les horaires que la Compagnie publie au commencement de chaque saison et qui sont combinés pour permettre aux voyageurs de faire cette superbe promenade en une seule journée. Les express du matin, partant de Genève, généralement au nombre de quatre, ont des services avec correspondances, grâce auxquels les voyageurs peuvent visiter toutes les rives du lac, soit par la côte suisse, soit par la côte de Savoie.
Le premier itinéraire comporte le voyage par Lausanne jusqu'à Territet, avec la montée à Glion par le funiculaire et de là jusqu'aux Rochers de Naye, ou une visite au château de Chillon ; dans ce cas, on rentre à Genève vers neuf heures du soir.
Le second itinéraire comprend le voyage, par Evian-les-Bains, jusqu'au Bouveret, avec le retour par Territet; on est à Genève vers huit heures.
On peut également aller par la côte suisse et revenir par celle de Savoie, ou vice versa.
Grâce aux excellents restaurants des bateaux de la Compagnie, le touriste peut déjeuner ou dîner à bord, sans perdre de temps et faire un excellent repas, en jouissant du spectacle enchanteur des rives qui défilent devant ses yeux. De même pour le tour du Petit-Lac, qui occupe agréablement une demi-journée et que facilitent des itinéraires spéciaux laissant toute latitude aux voyageurs pour faire à leur gré cette aimable excursion, de Genève à Tougues-Nernier et retour par Nyon, ou vice versa. ...
Clarens est une des stations les plus fréquentées du littoral lémanique, à cause de son climat particulièrement tempéré, et sa vogue a été rapide, puisqu'en 1840 il n'y avait là qu'un modeste hôtel, portant comme enseigne : Aux bosquets de Julie. Le hautain château du Châtelard domine Clarens. Il date de 1450, mais très antérieurement un castel existait en cet endroit, d'une défense facile, grâce à sa position qui domine toute la contrée. Plus près du lac c'est le coteau des Crêtes, où demeurait Mme Françoise-Louise de la Tour, qui devint plus tard Mme de Warrens et qu'immortalisa J.- J. Rousseau ; sur ce coteau se dresse le gracieux château des Crêtes, où Gambetta vint résider à plusieurs reprises.
...
Chillon, le romanesque Manoir des Eaux, est devant nous ; c'est le joyau du lac, le bijou féodal que nous ont laissé les siècles envolés, dans son cadre idéal d'ombrages et de rochers. Devant cette silhouette chimérique, que les chromolithographies du monde entier n'ont pas réussi à dépoétiser, nous tombons en plein Moyen Age, à l'époque irréelle, sanglante et exquise, où, au sortir des lointaines chevauchées, Pierre de Savoie se consolait de la gloire éphémère en écoutant les chan sons d'amour de son troubadour favori, le Niçois Reymond Feraud, en s'accompagnant sur le rebec.
Très antique, le château actuel fut édifié sur une tour sombre et massive où fut enfermé Wala, abbé de Corbie, par Pierre de Savoie, le Petit-Charlemagne, pour asseoir sa domination dans le Pays de Vaud ; il en était très fier et il disait volontiers : « J'ai fait édifier ung moult bel chastel en Chillion. »
Ce château faisait partie d'un formidable ensemble de constructions et d'ouvrages de défenses, qui barrait entièrement la route et que protégeaient en outre un portail crénelé, avec herse et mâchicoulis, tours et remparts. De nombreux prisonniers gémirent dans ses profonds cachots ; le plus célèbre est François de Bonivard, prieur de Saint-Victor, bourgeois de Genève, que le duc de Savoie fit traîtreusement arrêter parce qu'il gênait ses menées ambitieuses et qui resta six ans attaché à la cinquième colonne de voûte par une chaîne de quatre pieds de long, qui lui permettait à peine de se coucher. « J'eus si bon loisir de me pour mener, dit-il, que j'empreignis en la roche qui était le parement de céans, un petit sentier, comme si on l'eust fait avec un martel. »
Les Genevois et les Bernois prirent le château en 1535 et délivrèrent Bonivard ainsi que de nombreux prisonniers. A l'entrée de ses sauveurs dans son souterrain, ceux-ci lui crièrent : « Bonivard, tu es libre ! » Il répondit : — Et Genève ? - Aussi ! En 1803 le château devint la propriété du Canton de Vaud après avoir été pendant longtemps la résidence des baillis bernois ; il fut successivement transformé en prison d'Etat puis en arsenal ; actuellement on l'a très soigneusement restauré et un intéressant Musée historique y est installé.
50 photos d'époque

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